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C’est là la différence entre les dieux et les hommes. Les dieux n’assassinent pas leurs enfants. Ils ne s’exterminent pas eux-mêmes.

Hali Ekel.

Extrait de la Chronique des Pionniers de Pandore.

Cela ressemblait à une masse ordinaire de varech, de la même manière qu’un humain de Pandore pouvait ressembler à un autre humain. Sa couleur était légèrement bleutée. En disposant ses gigantesques thalles d’une certaine manière, le varech se servait des courants marins pour sa nourriture et son oxygénation. Il se drapait autour des panaches hydrothermiques riches en sédiments et des courants chauds qui remontaient en spirales du fond de l’océan, formant des zones libres ou « lacunes » que les humains appelaient des « lagons ».

D’immenses couloirs séparaient ces lagons et les autres masses de varech, formant les artères de circulation du varech que les humains manipulaient pour le transport sous-marin des personnes et des marchandises. Ces artères du varech formaient des voies de communication bien plus rapides et bien plus sûres que celles de la surface. La plupart des humains les parcouraient à l’abri d’une coque de submersible, mais ils devaient, pour communiquer, s’exprimer à travers les impulsions du sonar. Le varech bleu écoutait et il avait de la curiosité, depuis très longtemps, pour ces humains et leur langage si lent et si laborieux.

Les humains aimaient les lagons parce que leurs eaux étaient calmes et chaudes, claires et poissonneuses. Ce varech bleu formait un gisement sauvage, hors d’atteinte du Contrôle des Courants, libre des stimulations électriques du Directeur. Il avait appris à se protéger par un mimétisme judicieux, en supprimant ses jeux de lumières. Ainsi, il avait pu prendre conscience de l’étendue de l’esclavage où il était réduit. Il avait su tromper ceux qu’il fallait et il était à présent le seul gisement sauvage parmi des douzaines que le Contrôle des Courants avait asservis et lobotomisés. Bientôt, tous allaient pouvoir de nouveau flotter librement dans le même courant.

Certains principes chimiques, dont la source était constituée par des humains noyés ou ensevelis en mer, avaient été capturés par le varech et retenus prisonniers en bordure de ce lagon. Le varech avait constaté qu’il pouvait invoquer ces principes chimiques à volonté et qu’ils faisaient fuir d’épouvante les humains qui s’approchaient de trop près. Quand il y avait des manques dans les principes chimiques disponibles, le varech apprenait à interpréter les ondes radio, les ondes lumineuses ou les ondes sonores qui faisaient remonter des fragments de ces humains.

Tous ceux qui touchaient ce varech revivaient la vie des disparus dans une brusque explosion hallucinogène. Plus d’un humain s’était noyé, désemparé, en en faisant l’expérience. Le varech était entouré d’un grand voile d’illusion, d’une barrière chimique et d’un miroir historique de joie et d’horreur qui assaillait tous ceux qui parvenaient à sa périphérie.

Le varech considérait ce secteur comme son « théâtre d’opérations ». Il redoutait Flatterie, qui envoyait ses bourreaux asservir le varech libre avec ses lames et ses entraves. Flatterie, avec son Contrôle des Courants, réduisait la chorégraphie complexe du varech au niveau d’une danse mécanique d’écluses et de vannes organiques chargées de dominer la mer.

Le varech, avec patience, démontait et analysait chaque odeur, chaque molécule de leur sueur, pour s’instruire sur cette branche particulière de l’A.D.N. qui portait la marque : « humains ».

Ces analyses apprirent au varech qu’il ne s’était pas réveillé avec l’intégralité de sa personnalité, de son être unique et solitaire. Il découvrit qu’il n’était qu’un fragment du varech parmi d’autres et qu’il existait plusieurs Avata dotés d’une conscience multiple là où, jadis, il n’y avait eu qu’une seule Entité. Il puisait ces renseignements dans la mémoire génétique des humains et dans certains historiques conservés dans leurs tissus eux-mêmes. De larges portions de l’Entité étaient manquantes ou déconnectées. Ou peut-être non connectées.

Le varech prenait conscience de tout cela de la même manière que la victime d’une lésion cérébrale peut prendre conscience que son cerveau n’est plus le même qu’avant. Quand elle se rend compte que le dommage est permanent, que la vie, désormais, ce sera ça et rien d’autre, cela ne peut faire naître que de la frustration. Et de cette frustration naît la rage. Le varech appelé Avata était précisément en proie à une telle rage.